La vie et l’oeuvre de Serigne Modou Moustapha MBACKE, 1er Khalif
C’est le prototype même de l’agriculteur aguerri aux rigueurs de la vie champêtre et l’exemple vivant du bon mouride avec sa nature posée et son intelligence très fine.
Fils de Cheikh Ahmadou Bamba, né à Darou Salam en 1886, sa vie et son œuvre tournent essentiellement sur deux aspects fondamentaux et socles de l’œuvre qui allait transcender les temps et les époques : le raffermissement du Mouridisme et la construction de la grande Mosquée de Touba. Bien que n’étant pas l’ainé des fils de Serigne Touba, Serigne Modou Moustapha, âgé de 40 ans, fût le 1er Khalife du fondateur du mouridisme après le rappel à Dieu en 1927 de ce dernier.
Issu de la prestigieuse famille maraboutique de Serigne Coki dans le Ndiambour, de par sa mère Sokhna Aminata LO, Serigne Moustapha est le neveu de Serigne Makhtar Binta LO, un des premiers compagnons de Serigne Touba en qui il témoigna beaucoup de bien. Très jeune, il débuta son initiation coranique auprès de son père, avant de les poursuivre aux côtés de Mame Thierno Birahim MBACKE sept années durant.
En 1902, il fut de l’expédition de Khomack qui allait rejoindre Cheikhoul Khadim en exil en Mauritanie. Il resta jusqu’à 1907. Homme de terrain, doté d’un grand discernement, il accompagna son père à Dakar sur invitation du Gouverneur Général de l’A.O.F. Cheikh Modou Moustapha MBACKE eut la lourde tâche de diriger la communauté mouride, dans ses années d’affirmation, marquées par la disparition de Cheikhoul Khadim, la crise économique des années 30 et une épidémie de peste qui ravageait tout sur son passage. C’est dans ce contexte difficile, marqué par la réticence de certains des grands disciples et l’hostilité des colons, que Cheikh Moustapha accomplit à la lettre les recommandations de feu son père dont le premier grand pari étaient de l’inhumer à Touba, chose quasi impossible du fait du statut de prisonnier en résidence surveillée de Serigne Touba stipulant des restrictions pour le transfert des corps posées par le colonisateur. Le deuxième grand pari réussit par Cheikh Moustapha est la construction de la grande mosquée de Touba, dont l’autorisation de construire a été retirée à Cheikhoul Khadim dès 1925. Apres de multiples tractations et procès contre les autorités coloniales, il obtient l’autorisation de construire mais devait au préalable respecter la clause du financement sur fonds propre du tronçon de chemin de fer Diourbel-Touba, long de 48 km.
La réalisation de cet important ouvrage conçu de manière très rudimentaire, à cette époque la technologie n’étant pas avancée, les mourides par le biais de leur Khalife ont montré leur réalisme, leur efficacité, par un impressionnant travail à la chaine où tout se faisait à la tache, prouvant ainsi leur sérieux et leur organisation, mais aussi le sens de l’entreprenariat et le culte du travail et du management. El Hadji Cheikh Baïdy BA, un des membres de la Régie des Chemins de Fer à cette époque fit une déclaration importante dans son manuscrit sur la Mosquée de Touba : « Pour construire la grande Mosquée de Touba, il fallait une voie ferrée qui, reliant Touba à Diourbel, permettrait l’acheminement des matériaux depuis Dakar, la route étant à cette époque presque inexistante ».
Le 04 Mars 1932, il posa la première pierre de la mosquée et tint aux mourides un discours rassembleur les invita au travail et à la dévotion, de taire les velléités et de se consacrer à l’essentiel conformément à la volonté de Cheikhoul Khadim. Avec la construction de cet édifice religieux, il a montré le chemin en découvrant l’existence d’une carrière latéritique insoupçonnée à près de 8 km de la ville sainte. Plein de lucidité et de calme, Serigne Modou a su imposé sa personnalité et son charisme. Sa dignité, sa droiture et son efficacité ont fini par convaincre les plus sceptiques. Il jeta ainsi les bases d’une nouvelle communauté plus soudée, bien structurée, apte à relever les nouveaux défis qui allaient interpeller la communauté, dans un monde en pleines mutations. Il provoqua un grand élan mystique qui favorisa un essor économique de la région de Diourbel. La production arachidière était passée de 20 000 tonnes à la fin des années 1930 à 75 000 tonnes entre 1937 et 1938.
Aprés 18 ans passés à la tête de la communauté mouride, Hamdy, comme l’appelait sympathiquement les anciens, tira sa révérence à l’aube d’un vendredi pluvieux du mois de juillet 1945. Il fut inhumé auprès de son père dans l’enceinte de la grande mosquée de Touba.